Vendredi 6 décembre à 14h à l’université Lumière Lyon 2
Campus Berges du Rhône, 17 rue Jaboulay, salle GAI 116, bâtiment Gaïa
Marie Hoffner-Talwar, doctorante EVS, soutiendra sa thèse intitulée « Corps, style, risque : pour une soma-esthétique des pratiques transgressives du corps féminin dans le Rajasthan contemporain » devant le jury composé de :
Véronique BENEI, directrice de recherche au CNRS, examinatrice
Denis CERCLET, professeur émérite à l’université Lyon II, directeur
Christine CHOJNACKI, professeur à l’université Jean Moulin Lyon III, co-directrice
Ghislaine GALLENGA, professeure à l’université Aix-Marseille, rapportrice
Tiziana LEUCCI, chargée de recherche au CNRS, examinatrice
Gilles RAVENEAU, professeur à l’université Lyon II, examinateur
Denis VIDAL, directeur de recherche émérite à l’IRD, rapporteur
Le soutenance sera suivie d’un pot.
Vous pouvez contacter M.Hoffner@univ-lyon2.fr si vous souhaitez assister à la soutenance et/ou au pot.
Résumé de la thèse :
Prenant pour point de départ une enquête de terrain multi-situé tournée autour de la question des enjeux du corps féminin dans le Rajasthan contemporain – et en particulier dans les villes de Jodhpur et d’Udaipur –, cette recherche a pour objectif d’interroger la place du risque et de la transgression dans un contexte éminemment patriarco-normé. Il s’agit de voir comment les femmes de ces deux villes, l’une plus touristique cultivant l’exotisme (Udaipur) et l’autre davantage tournée vers une forme bien plus rigide de tradition (Jodhpur), utilisent leur potentiel somatique lors de rituels quotidiens privés – qu’il s’agisse de rituels religieux ou de simples pratiques d’habillement, de maquillage et de mise en spectacle du corps – ainsi qu’au sein de l’espace public. L’idée, c’est ici de mettre au jour la manière dont ce savoir-faire va influer sur l’écriture permanente, quotidienne de l’identité de ces femmes, ainsi que sur leur inscription au sein même de la société – une société en proie aux mutations et où les normes du politique se doivent d’être ré-établies entre démagogie et propagande pro-nationaliste. Les techniques du corps (cf. M. Mauss) des femmes Rajasthanies s’apparentent ainsi à des formes scéniques en ce qu’elles se transmettent sur le mode de l’oralité, tant par l’observation que par l’imitation et la répétition. Entre mise en scène et tradition, techniques conscientes et inconscientes, les femmes du Rajasthan contemporain s’inscrivent dans le monde grâce à des attitudes quotidiennes. L’identité, à la fois collective et individuelle, se construit ainsi dans le temps de l’apprentissage des gestes et des comportements, c’est-à-dire dans le temps de l’apprentissage à être une femme. Ces deux apprentissages demandent ainsi l’assimilation de techniques du corps spécifiques, interdépendantes l’une de l’autre, un peu comme si rituels, traditions et habitus relevaient chez elles de l’apprentissage d’une danse sacrée.
Il s’agit ici de mettre en lumière la manière dont le changement de paradigme qui s’opère dans la société Indienne, et en particulier Rajasthanie, par le truchement des prises de risques purement somatiques ou encore par des initiatives d’empowerment, permet aux femmes d’accéder peu à peu à une conscience d’elles-mêmes, de leurs corps et de ses potentialités qui ouvre sur la possibilité de se transcender et de n’avoir plus peur… de prendre des risques. Mon travail témoigne d’une sorte de cercle vertueux qui se dessine peu à peu par-delà le cadre éminemment traditionnaliste d’une Inde en prise avec le nationalisme radical et au sein duquel le corps apparaît à la fois comme le problème et la solution. Prolongement de ce même corps qui mène à une forme de sécurité relative par la prise de risque elle-même, le style vient ainsi répondre aux divers dictats des politiques tout entières fondées sur les bienfaits de la tradition et de ses vertus : ici, le corps est un outil de l’émancipation et de la mise à l’abri du corps et de son intégrité, mais aussi un instrument de démagogie lorsqu’il s’insère aux discours (journaux etc.) ou aux images (notamment cinématographiques) directement corrélés au gouvernement et à ses attentes.
Le corps féminin apparaît donc au fondement de toute une esthétique qui place le beau et le pur au cœur du cadre somatique traditionnel. Le corps s’apparente à une poétique à part entière, empreint d’une forme d’exotisme conscientisé et travaillé au point d’en devenir « magique ». Contrôlé dans un contexte éminemment patriarcal, le corps féminin cristallise ainsi les violences et les normes liées au maintien de l’honneur des hommes et de la famille. La dialectique entre voilement et dévoilement, symptomatique d’un symbolisme patriarcal qui participe précisément de ce contrôle des corps, ouvre ainsi sur cette idée d’une soma-esthétique féminine qui constitue un enjeu – ou plutôt une mise en jeu de l’identité culturelle Hindoue dans un contexte ultra-nationaliste où la mise en scène de la tradition est le maître-mot. Le corps des femmes, en réponse au violent contrôle qui s’exerce sur lui, se fait ainsi le lieu même de la prise de risque : style, initiatives, revendications, individuation sont autant de risques encourus par les femmes qui prétendent, consciemment ou non, à une prise de pouvoir sur leur propre corps. La réappropriation du corps par le risque, mais aussi par le CoRpus ouvre dès lors sur la possibilité de l’émancipation : en banalisant la transgression, une nouvelle norme est appelée à voir le jour. En effet, le style risqué par les femmes qui entendent construire un second corps pour mettre au jour une nouvelle identité féminine moderne condense des enjeux ontologiques et politiques.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
floriebresteaux (12 novembre 2024). Soutenance de thèse : « Corps, style, risque : pour une soma-esthétique des pratiques transgressives du corps féminin dans le Rajasthan contemporain ». Faire territoire, faire société. Consulté le 11 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12nl1